• L’orage grondait à mes fenêtres. Le ciel se zébrait par intermittences de lacets blancs éclatants, tandis que la pluie frappait les vitres avec force. Dehors, la ville était livrée aux colères de la nature. Je remerciais silencieusement mon immeuble d’être solide. Debout devant ma fenêtre, j’observais à l’abri, finalement complètement insouciant. J’avais même le sourire aux lèvres lorsqu’un éclair fendait le ciel de plomb. Je m’amusais alors à compter, comme un enfant, pour calculer la distance. Un … deux … trois … Crac ! Les nuages furent écartés violemment par la main de Dieu. Je m’éloignais de la vitre et j’allais m’étendre dans mon canapé. L’orage se faisait de plus en plus violent. Saisissant la télécommande sur la table basse, j’allumais alors la radio. La voix, quelques fois encombrée, priait les habitants de la ville de rester bien à l’abri chez eux et recommandait de débrancher toutes les prises. La communication s’arrêta soudain, puis ce fut au tour de tout le quartier de sombrer dans une glaciale obscurité. Mon appartement était plongé dans un silence de mort perturbé par le grondement féroce de la foudre. Je n’osais à peine respirer. Quel gamin je faisais là … Je me ressaisis et sortit d’un tiroir de la cuisine une bougie que j’avais toujours en réserve. Les allumettes étaient dans le salon, posées sur le rebord de la cheminée. J’allumais ma chandelle et la plaçait sur la table. Assis par terre, sur la moquette, le dos appuyé contre le sofa, j’observais la flamme chavirée à droite et à gauche. Au-delà de la flamme, il y avait la fenêtre et encore au-delà, l’orage.

    Je ne sais combien de temps je restai ainsi. Mon corps et mon esprit étaient tout entier à cette contemplation, tandis que la tempête faisait toujours rage à l’extérieur. Les minutes défilèrent et se consumèrent avec la bougie. Mais, bientôt, la faim commença à se faire sentir, ce qui me sortit de ma torpeur. Je me levai, traversai la salle-à-manger à présent vidée et atteignit la cuisine enfuie dans une pénombre épaisse. Tirant mon gsm de ma poche, j’appuyai sur n’importe quelle touche pour qu’il puisse produire de la lumière. Je choisis dans le frigo ce qui était le plus susceptible de mal tourner si la coupure de courant n’était pas rapidement rétablie. J’en revins ensuite à mon salon. Je fermai les yeux pour traverser ma salle-à-manger. La chandelle dansait toujours. Je déposai mes trouvailles sur la table et commençai tranquillement à manger. Je n’avais pas grand-chose d’autre à faire de tout façon … La télévision, la radio et l’ordinateur était hors d’usage compte tenu de l’absence d’électricité, et lire un livre à la lumière d’une bougie s’était détruire ses yeux à coup sûr … Je soupirai au moment où le ciel se déchira à nouveau. Alors que je mangeais un sandwich confectionné par mes soins, mon regard divagua vers le vide de ma salle-à-manger. C’était la première pièce que j’avais décidée de vider. Avoir une salle-à-manger quand on est seul, est absolument inutile et absurde. Elle ne me servait plus à rien à présent et quitte à devoir déménager, autant déménager dans les règles de l’art et de manière réfléchie. Après, je ferai le salon, pensais-je.

    Je regardai ma montre : il était 21h. Trop tôt pour se coucher. Un nouvel éclair éclata. Je comptai : un … deux … trois … toc-toc … Je me retournai vers la porte d’entrée. Non, ça ne pouvait être l’orage qui frappait à ma porte. Ça aurait sans doute été plus violent. J’entendis à nouveau frapper. Je me levai difficilement, mon corps était tout endoloris pour je-ne-sais quelle raison. L’humidité peut-être … J’étais étonné que quelqu’un soit devant ma porte à cette heure-ci de la soirée et surtout par la tempête qui faisait toujours rage. Lorsque j’ouvris, la première chose que j’ai pu voir, était une grande tâche jaune qui s’avérait être un ciré de pêcheur bien trop grand pour la personne qui le portait mais bien utile par le temps qui courait dehors. Une main retira la capuche qui barrait le visage du visiteur … qui était en réalité une visiteuse … Celle-ci put immédiatement remarquer mon étonnement qui s’était sans doute peint instantanément sur mon visage. Elle me sourit.

    -          Oui, je ne suis pas une personne qu’on retient facilement.

    J’entrouvris la bouche, mais rien n’en sortit. Elle avait l’air d’être une apparition. Peut-être la personnification du dieu-orage…

    -          Je m’excuse de débarquer comme ça chez toi, Florent – oui, on se connait – mais j’étais dans le coin et la tempête était tellement violente que je ne pensais qu’à une chose, me mettre en sûreté. Tu étais la seule personne que je connaissais par ici … Alors me voilà ! 

    -          Et … tu es ?

    -          Violette, je suis Violette, une amie de Séverine, enfin plutôt une connaissance. Je peux rentrer ? Je suis gelée.

    Elle dit ses derniers mots en désignant l’intérieur de mon appartement, et ce n’est qu’à ce moment que je vis que la fille que se tenait devant moi était trempée de la tête au pied. Je m’effaçai de l’entrée pour la laisser passer et m’excusai en même temps de mon manque de tact.

    -          Oh ça ne fait rien, personne ne laisserait une inconnue rentrée chez lui comme ça. Mais le fait, tout de même, qu’on s’est déjà vu … C’est triste que tu ne t’en souviennes pas.

    Violette me dit ça en souriant, ce qui fit passer plus facilement la remarque. Je la débarrassai de son imperméable jaune et le pendit au porte-manteau. Elle me remercia.

    -          Je vais t’apporter une serviette pour te sécher un peu. Tu peux aller au salon.

    Je me rendis vers la salle de bain, mon gsm en main pour éclairer mon chemin. Je pris une serviette épaisse et propre sous l’évier. Mon reflet dans le miroir me fit sursauter. Je me sentis atrocement bête. Lorsque je revins auprès de Violette, celle-ci était encore debout, près de la fenêtre, elle regardait la ville trempée tout comme elle jusqu’à l’os.

    -          C’est quand même incroyable cette tempête … dit-elle dans un souffle, presque pour elle-même … Je suppose qu’il y a eu une coupure de courant dans ton immeuble … J’ai eu la même chose quand j’étais dehors. Tous les lampadaires de la rue se sont éteints en une seule fois et j’ai été plongée dans le noir le plus complet … J’étais pas rassurée, tu peux me croire !

    Je lui tendis la serviette. Violette la prit volontiers et se sécha d’abord les cheveux d’un geste vigoureux. Je pouvais voir sa peau glacée se réchauffer peu à peu. Violette n’était pas grande. Je dirais même de petite taille. Elle ne m’arrivait même pas à l’épaule. Ses cheveux étaient châtains et sa peau blanche comme le lait. En cet instant, elle portait un jeans large et un sweet-shirt lignée bleu qui se collaient à ses formes généreusement proportionnées. Après ses cheveux, Violette tapota la serviette un peu partout sur son corps puis me la tendit. Je la jetai sur une chaise non loin de là.

    -          Ah, merci, ça fait du bien ! soupira-t-elle.

    -          Dis-moi … Violette, c’est bien ça ?

    Elle acquiesça.

    -          Redis-moi d’où on se connait ?

    -          L’année passée, tu avais organisé une fête dans ton appartement, en l’honneur de Séverine. Elle m’avait invitée. C’était pour sa promotion.

    La soirée me revenait. Séverine rayonnante de bonheur, moi qui l’admirait. Elle était si belle dans ce souvenir.

    -          Oui, je me souviens… Je t’avais ouvert la porte, n’est-ce pas ?

    -          Oui ! C’était toi qui étais venu m’ouvrir.

    -          Excuse-moi de ne pas t’avoir reconnue … En toute franchise, je n’ai plus beaucoup de souvenirs de cette soirée … j’avais bu, sans doute trop bu …

    -          Ne t’inquiète pas ! La soirée est floue pour moi aussi … Mais, tiens, justement, Séverine n’est pas là ?

    Violette regarda autour d’elle. Son regard s’arrêta sur le salle-a-manger complètement vide et devina la suite. Une fille intelligente …

    -          Ah. Je vois. Ça arrive. Mais tout de même … Toi ou elle ?

    -          Moi.

    -          Le métier de journaliste sans doute …

    -          Oui, assez contraignant pour un couple.

    -          Je comprends.

    -          Et toi ? Un copain ?

    -          En ce moment, non. Pas trop.

    Sa réponse était tout de même étrange … Soit on est avec quelqu’un, soit on ne l’est pas, mais on ne l’est pas « pas trop ». Je ne m’y attardais guère.

    -          Ça va ? Tu t’es un peu réchauffée, lui demandais-je, voyant ses cheveux toujours humides, une mèche lui barrant la joue.

    -          Oui, ça va, merci Florent !

    -          Je t’en prie …

    Je ne savais qu’en penser … c’était une situation quelque peu particulière. Je me retrouvais avec une connaissance de mon ex-petite amie dont je ne me souvenais pas, mais qui elle se souvenait de moi et avait même fait la fête dans cet appartement que j’étais en train de vider. La bougie était toujours allumée, bien qu’à moitié consumée. Je me rassis sur la moquette et invitai Violette à s’installer où elle le souhaitait. Elle choisit également la moquette. Un choix judicieux. Elle était douce et confortable.

    -          J’aime bien ce genre d’ambiance, avoua Violette. Etre à l’intérieur en sécurité, éclairé par la flamme tremblante d’une bougie. Savoir que dehors c’est le déluge mais qu’il ne peut rien nous arriver ici. Une ambiance comme dans les anciennes veillées où les ancêtres contaient les légendes et les drames de leur terre. Ma grand-mère me racontait ce genre de récits. J’adorais ça. Elle contait  très bien.

    -          Tu t’y connais alors en contes et légendes ?

    -          Oui. Je dirais même que je m’en fais un passe-temps. Je me rends dans des camps scouts pour raconter au coin du feu les vieilles histoires que j’ai glanées çà et là.   

    -          Tu pourrais me raconter quelque chose, là, maintenant ? demandai-je. Avec cette panne, on ne peut pas faire grand-chose. Et puis, comme tu l’as dit avant, c’est une ambiance qui s’y prête assez bien.

    Elle me sourit et accepta.

    -          Il était une fois un jeune paysan qui vivait dans la montagne. Il était seul et pauvre. Ses parents étaient décédés depuis longtemps. Sa maison était perchée sur les flancs de la montagne, protégée par un bois de pins épais. Pour pouvoir se payer le strict nécessaire, il confectionnait des fagots de bois qu’il vendait au village qui se trouvait en contre-bas. Un jour qu’il était chez lui, une tempête de neige s’éternisant sur le sommet, il entendit frapper à sa porte. Surpris et même quelque peu effrayé, il alla ouvrir. Quelle ne fut sa surprise quand il découvrit une magnifique jeune fille, aux cheveux noirs comme le charbon et la peau blanche comme la neige. Elle portait un splendide kimono. La jeune fille s’excusa auprès du paysan. Celle-ci s’était perdue dans la montagne et avait été surpris par la tempête. Elle cherchait alors un refuge quand elle avait découvert la maison du jeune homme solitaire. Ce dernier la pria d’entrer dans son humble demeure. Il en était déjà éperdument amoureux. La jeune fille resta jusqu’à ce que la tempête se soit calmée. Autrement dit, quelques jours. Pendant ce temps, elle eut tout le loisir de remarquer la condition modeste du paysan et de l’aider dans les tâches quotidiennes. Quand la jeune fille s’apprêtait à reprendre la route, le jeune paysan la retint et la pria de l’épouser. Elle accepta à une seule condition. Qu’un jour par mois, elle puisse se retirer dans sa chambre et que personne ne vint l’en déranger. Le paysan y consentit. Le mariage fut célébré et à partir de ce jour, la condition de paysan s’améliora de façon considérable. Comme l’avait demandé la jeune fille, celle-ci se retirait une fois par mois dans sa chambre et n’en sortait qu’à la nuit tombée. On pouvait entendre d’étranges bruissements s’échapper à travers la fine cloison. Le paysan devint curieux, de plus en plus curieux, jusqu’au jour où il ne put se retenir et ouvrit la porte de la chambre de sa femme. Devant lui se trouvait une magnifique grue qui, de ses pattes agiles et de ses douces ailles, tissaient de merveilleux kimonos. Au moment où l’oiseau vit qu’on l’avait découvert, il poussa un cri désespéré et s’envola par la fenêtre, laissant derrière lui les kimonos inachevés et le pauvre homme. Depuis ce jour, le paysan, qui avait alors compris que la grue n’était autre que sa chère épouse, erre dans la montagne pour retrouver sa bien-aimée.

    Ainsi, se termina le conte. Quelques secondes passèrent avant que je n’ose briser la magie qui avait envahi mon antre d’homme moderne. La flamme de la bougie vacilla.

    -          C’est une très jolie histoire, dis-je. Triste mais jolie.

    -          C’est un conte d’origine japonaise. Un de mes préférés.

    -          Oui, je comprends.

    Mon regard erra sur les restes de mon sandwich dont j’allais prendre une bouchée quand je pensais que, peut-être, Violette avait faim elle aussi. Je lui posai la question. Elle déclina gentiment : elle avait déjà mangé, mais ne refusait pas quelque chose à boire. Je me rendis une nouvelle fois dans la cuisine, ouvrit mon frigo pour voir ce qui s’y trouvait encore. Pas grand-chose malheureusement … Je regardai dans mes placards et découvrit une bouteille de vin. Je la débouchai soigneusement. Elle avait un bon bouquet. Je pris deux verres à pieds dans l’armoire et retournai auprès de Violette. Lorsque cette dernière vit la bouteille de vin dans ma main, elle sourit de toutes ses dents. Je ne pus m’empêcher de penser au chat du Cheshire.

    -          C’est une merveilleuse idée, s’exclama Violette. Tu t’y connais un peu vin ?

    -          Non, pas trop … Mais je pense que cette bouteille ne sera pas mauvaise.

    -          A la bonne heure ! Pour tout te dire, je suis atrocement mauvaise pour juger un vin. Mon ex, lui était douée. Il suivait des cours d’œnologie.

    -          C’est qui ton ex, si je peux permettre …

    -          Nicolas. Il était aussi à la soirée où l’on s’est rencontrée. Mais je l’ai quitté depuis un bon moment maintenant.

    -          Est-ce qu’on s’est parlé pendant cette soirée ? demandai-je, timidement.

    -          Oui, un peu, je pense. Je me revois sur le toit avec toi.

    -          Nous n’étions que tous les deux ?

    -          Non. Nicolas et Séverine étaient là eux aussi.

    Je versai le vin dans les deux verres et en présentait un à Violette qui le prit avec plaisir. Je la regardai boire la première gorgée. Ses lèvres étaient naturellement très rouges. C’était grisant comme couleur. Je passai ma langue sur mes lèvres avant de porter le verre à ma bouche. Le vin était bon. Un éclair traversa le ciel.

    Il était minuit quand la bouteille de vin fut terminée. Les cloches de la cathédrale s’entendirent au loin, malgré la tempête qui s’éternisait. La ville était toujours plongée dans le noir. J’avais changé de bougie entre temps, la première s’étant finalement éteinte. Je me sentais étourdi par l’alcool. Mais pas trop, juste ce qu’il fallait pour me sentir bien. J’observais Violette. Entretemps, elle avait enlevé son sweet-shirt qui ne voulait pas sécher. Elle était en débardeur, une bretelle tombait sur son épaule. Ses lèvres avaient à présent une légère teinte violacée. Elle appuyait son dos sur le fauteuil qui se trouvait derrière elle, en angle droit par rapport au mien. Nos jambes se rejoignaient sous la table basse. La lumière diffusée par la bougie nous englobait tout juste.

    Pendant que nous descendions littéralement la bouteille, Violette et moi avions beaucoup parlé. Elle apprit ainsi que si ma salle-à-manger était vide, c’était parce que je prévoyais de déménager. Un si grand appartement pour une seule personne, c’était pour qu’elle si perde … ou pour qu’elle se perde dans ses souvenirs. Séverine avait été ma petite amie pendant 4 ans. Nicolas avait été son petit ami pendant 2 mois. Violette était plus jeune, sans que je connaisse son âge exact.  Je savais qu’elle était originaire de la côte. Des tempêtes, elle avait dû en vivre. Mon regard glissa vers son ciré jaune qui pendait comme un fantôme de pêcheur de crevettes. On aurait dit un héritage de famille.

    -          C’était à mon père. Il me l’a donné.

    Je n’insistai pas. Parler au passé ne signifiait pas que son père était mort. Je parlais toujours de Séverine au passé. Elle n’en était pas pour autant décédée. Il restait un fond dans la bouteille de vin. Je le laissai par galanterie à Violette, qui but son verre d’une traite.

    -          Je ne sais pas toi, mais le vin fait son effet, dit-elle en riant.

    -          Une bouteille à deux … ce n’est pas rien tout de même, fis-je remarquer.

    Nous entendîmes le vent siffler sur la façade de l’immeuble. L’atmosphère semblait plus lourde. La chandelle elle-même semblait souffrir d’un manque d’air. L’air paraissait vicié. Je défis un bouton de ma chemise. Je pouvais voir la poitrine de Violette se soulever à un rythme régulier mais rapide. Je regardai par la fenêtre et eut une envie irrésistible de l’ouvrir. Je me levai précipitamment. La force des bourrasques étaient fascinantes. Violette me regardait d’un air surpris et comprit rapidement ce que je voulais faire. Elle me conseilla dans un sourire d’ouvrir celle de la salle-à-manger : il n’y avait rien qui puisse y être abîmé au moins. Je me dirigeai alors vers le baywindow de ma salle-à-manger. J’attendis quelque secondes – Violette était venue me rejoindre – avant d’empoigner d’une main sûre la poignée. Je tirai et  ce fut comme si l’orage dévorait mon appartement. Le grondement de la nature résonna dans la pièce, le vent et la pluie s’y engouffrèrent. Je les sentis sur mon visage. Violette semblait fascinée. Elle avait tendu les mains vers l’extérieur comme pour accueillir en son sein la violence de la nature déchainée. Elle avait les yeux fermés. La pluie tapissait à présent le sol. Non loin de là, s’élevant du parc, le gémissement des vieux arbres nous parvenaient. Il semblait hurler leur aplomb invaincu. Les siècles qu’ils abritaient en eux ne se laisseraient pas détruire par les vents d’une nuit enragée. Les nuages chargeaient dans le ciel à vive allure, comme sous le commandement d’un général invisible. La nature livrait bataille, purifiait la terre. Je sentais le vin s’agiter en moi, mes veines se gonfler d’une nouvelle force, mon cœur d’un nouveau désir. Je décidai de refermer la fenêtre. Lorsque celle-ci fut close, l’air de l’appartement semblait plus pur, comme revigoré. Je laissai Violette dans la salle-à-manger, m’en allant vers la cuisine chercher un torchon pour essuyer les eaux nées de mes envies soudaines. Quand je revins enfin, Violette était assise sur un appui de fenêtre. Son regard reflétait la pluie qui glissait sur la vitre. J’essuyai rapidement et jetai le torchon dans un coin. Je m’approchai de Violette. Je reposai mon dos contre le mur. J’avais sa cuisse à quelques centimètres de mon bras.

    -          Une pièce vide, c’est autant un commencement qu’une fin, commença-t-elle. Quelqu’un ou toi-même l’a vidée, et quelqu’un ou toi-même peut à nouveau la remplir pour accomplir une nouvelle chose, y vivre de nouveaux moments, y créer de nouveaux souvenirs.

    Violette s’arrêta un instant …

    -          J’aimerais la remplir, moi … cette pièce …

    -          De quoi ? osai-je à peine demander.

    -          De nous.

    Son regard se tourna vers moi. Mes yeux se posèrent sur elle à leur tour. Je devinai sa main qui s’approchait de moi. Violette m’empoigna le bras et m’obligea à se pencher sur elle. Ses lèvres se posèrent sur les miennes, mais sans avidité, avec calme, comme en attente. C’était davantage une caresse qu’un baiser.  Mon corps reçut comme un choc électrique. Ma main se porta à sa nuque que j’encerclais de mes doigts. Je pressai ainsi sa bouche contre la mienne. Ses lèvres goutaient encore le vin. Un éclair fendit le ciel et éclaira la scène. Violette n’avait pas fermé les yeux et me fixait. Je remarquai enfin son regard, luminescent comme deux jades divins. J’écartai ses jambes, logeant mon corps entre elles. Violette les enserra autour de moi et rapprocha sa poitrine de la mienne. Elle avait chaud. Moi aussi. Nos lèvres ne voulaient plus se détacher. Tandis qu’une de mes mains emprisonnait toujours sa nuque,  l’autre s’aventurait dans son dos, sous son débardeur. Sa peau était douce et brûlante. Je détachai avec peine mes lèvres des siennes pour les poser dans son cou. Violette rejeta la tête en arrière, comme pour m’offrir sa gorge. J’y laissais tomber des baisers au gré de mes envies, de plus en plus bas. De ma main toujours dans son dos, je dégrafai les geôliers de ses seins si désespérés d’être libres. Les bretelles du débardeur tombèrent sur ses épaules. Le tissu se laissa descendre pour laisser à découvert les deux anges blancs de la fleur qui s’offrait à moi. Surpris par la fraicheur de la pièce, ses tétons se redressèrent. J’y déposai mes lèvres. J’entendis Violette soupirer. Elle passa une main dans mes cheveux. J’en revins à sa bouche. Avidement. Les bras de Violette enserrèrent mon torse  et ses cuisses se serrèrent contre moi avec force. Glissant mes mains sous elle, je la portai tout en continuant à l’embrasser. Je la plaquai contre le mur à côté, l’embrassa à nouveau dans le cou, pressait mon corps contre le sien, ses seins contre mon thorax.  Soudain, Violette se détacha de moi.

    -          J’ai soif, dit-elle simplement. Attend-moi là, je reviens !

    Je vis Violette se retirer dans la cuisine. Elle laissa son soutien-gorge sur l’appui de fenêtre. Il était de coton bleu. Je me sentis atrocement bête dans cette pièce vide avec mon corps tout excité. J’eus limite honte, comme si toute la ville savait ce qui se tramait dans cet appartement. Violette revint enfin et se jeta à mon cou. Ses lèvres étaient fraîches. C’était absolument agréable, comme si je buvais l’eau à même la source. Je lui enlevai son débardeur. Violette enleva ma chemise, bouton par bouton, avec un sourire malicieux. A chaque fois, qu’elle en défaisait un, elle embrassait la parcelle de peau qui apparaissait. Je frissonnai. Ma chemise se retrouva bientôt à terre, au côté du débardeur de Violette. Je la couchai sur le parquet. Il était tiède. Mon pantalon prit la fuite et celui de ma compagne s’en fut le rejoindre aussi vite. Mes mains découvraient chaque fragment du corps de Violette avec un désir toujours plus ardent. Elle, en était déjà à une exploration plus approfondie du mien. Elle tenait déjà toute ma fierté d’homme entre ses mains. Ma bouche mangeait sa peau goulument. Sa gorge, sa poitrine, son ventre, ses cuisses … Mes doigts cherchèrent le lieu encore inexploré, la chambre où se tenait la fleur, prête à être cueillie. Ils y pénétrèrent avec douceur, chassant le désir et défiant les limites. Toujours plus loin. Le corps de Violette se cambra. Ses mains prirent mon visage. Ses yeux se vissèrent dans les miens. Le simple coton qui cernait l’entrée fut rapidement enlevé et, ce fut dans un élan incontrôlé, que je pénétrais la chambre à  présent découverte. Là, dans cette salle-à-manger qui n’était plus vide, Violette s’offrit à moi et je m’offris à elle. Nous nous offrions en spectacle à l’orage qui se fatiguait encore contre les fenêtres. La foudre venait couvrir nos respirations haletantes, toujours plus essoufflées. La lumière jaillissant de l’éclair illuminait la peau laiteuse de Violette et ses lèvres rouges et humides. Violette caressait les mouvements des muscles de mon dos. Je sentais son corps contre le mien qui dessinait les vagues de mon plaisir – que j’espérais partager bien que je n’en avais pas trop de doute. Tout mon être aspirait à aller plus loin, toujours plus en profondeur. Plus férocement. Mes mouvements se firent plus rapides et plus vigoureux. Violette fermait les yeux. Elle avait les lèvres entrouvertes. Son haleine caressait ma nuque. Bientôt, dans un dernier coup de reins, je reposai mon corps contre celui de Violette, ma tête logée entre ses deux seins que j’embrassais encore.

    Nous restâmes ainsi pendant un long moment. Violette caressait mes cheveux ; mon souffle sa poitrine.  Puis, j’ai fermé les yeux.

     

    Nous sommes le matin. Je me réveille dans mon canapé. Je remarque que je suis toujours nu. J’ai du mal à me reconnecter avec la réalité. Mes yeux papillonnent. La lumière m’éblouit. Mes membres sont engourdis. J’ai mal à la nuque à cause de l’accoudoir. Je regarde autour de moi. L’appartement est si calme. Violette n’est plus là. Mon regard glisse vers le porte-manteau pour confirmer le fait : l’absence du ciré est jaune est indéniable. Je me lève avec difficulté et trouve mon caleçon dans la salle-à-manger que je trouve déjà moins vide. Ma nudité n’étant plus, je me rends près du baywindow. La tempête est passée. Mais la ville semble avoir souffert. Des branches provenant du parc jonchent la rue. Des bouts de tôle sont éparpillés un peu partout. Un camion de pompier s’occupe de dégager la voie. J’ai la soudaine impression d’avoir aperçu du coin de l’œil une tâche jaune qui tournait au croisement. Je reviens dans mon salon. La bougie est toute consumée, étalée sur le bois de la table basse. Je râle un peu. Je me pose dans mon canapé. Ma tête pend sur le dossier. Mes yeux sont rivés sur le plafond. Les souvenirs reviennent. J’empoigne la télécommande de la radio et allume cette dernière. Une voix éloignée affirme une fin de semaine rouge elle-aussi : d’autres tempêtes sont annoncées. Je souris.


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